La Planète Sauvage
Tandis que le monde entier attend fébrilement l’évènement cinématographique de l’année annoncé à coups de matraquage médiatique et autres produits dérivés made in China, j’aimerais donner aux lecteurs des Mondes Etranges un peu de répit en attendant qu’ils se précipitent (j’irai aussi je les rassure) voir Avatar. Laissez-moi donc vous conter la belle histoire du premier film d’animation français de Science-Fiction : La Planète Sauvage de René Laloux.
Un jeune dessinateur René Laloux décide d’adapter, en collaboration avec l’artiste surréaliste Roland Topor, le roman de Stefan Wul : Oms en série.
Le peuple Draag règne sur cette planète sauvage. Son évolution est telle qu’il partage son temps entre la méditation et l’organisation harmonieuse de son monde. Il impose sa puissance à toutes les autres créatures de la planète. En guise d’animaux domestiques, les Draags élèvent le peuple Om. Un jour, Tiwa, une petite fille Draag recueille un bébé Om. Elle lui donne un nom : Terr. Peu à peu, Terr acquiert les connaissances des Draags en écoutant en cachette l’enseignement de Tiwa. Devenu adulte, il amènera son peuple à la révolte au risque de faire sombrer toute la planète dans le Chaos.
L’univers sombre et poétique de l’écrivain Stefan Wul répond parfaitement aux mondes décalés et oniriques des deux dessinateurs Laloux et Topor. C’est en travaillant sur un même projet d’animation que les deux artistes se sont rencontrés dans les années 60. Bien vite, ils auront à cœur de donner matière à leur prolifique imagination où l’absurde, l’onirisme et l’humour noir se perdent dans leurs dessins surréalistes. Malheureusement, la frilosité des producteurs devant la difficulté d’un projet aussi nouveau qu’audacieux pour la France habituée aux productions animées des anglo-saxons, amènera Laloux et Topor à "délocaliser" (déjà à l’époque !) la quasi-totalité de leur travail dans les studios de Prague. C’est pourquoi certaines mauvaises langues iront dire que la Planète Sauvage n’avait pas à être attribuée à la France ! Sans doute marqué par les événements politiques de l’époque : la domination soviétique sur les Républiques de l’Est, le film est devenue au fil de sa réalisation une magnifique et édifiante évocation des périodes les plus répressives de la première partie du 20ème siècle. La fameuse scène de « Désomisation » reste pour beaucoup de spectateurs de l’époque et de nos jours, la plus représentative du message principal du film : un désir pacifiste de plus en plus « attendu » dans les sociétés occidentales. Le film (et le roman) amène beaucoup de questions, mais ne répond qu’implicitement, laissant le spectateur se perdre dans la beauté visuelle de chaque plan. De même, la sublime musique du compositeur Alain Coraguer (J’irai cracher sur vos tombes (1959), L’Eau à la bouche (1960) etc...) évoque dès les premières notes la respiration de la planète elle-même et un chant lancinant tantôt hypnotique quand les habitants de la planète vivent en harmonie, tantôt trépidant quand le chaos semble inéluctable.
La technique dite du « papier découpé » permet (en plus de faire des économies dans le budget !) de restituer la puissance des dessins de Roland Topor : cette technique d’animation (utilisée par Terry Gilliam pour les séquences de Monty Python’s Flying Circus mais aussi plus récemment par Michel Ocelot Kirikou ou la série South park) semble de nos jours bien désuette face à la fluidité des effets rendus par l’utilisation de la 3D dans Avatar !
Pourtant, la magie est toujours là.
36 ans après, le regard rouge vif et étonné de la petite fille Draag s’agenouillant pour « ramasser » un bébé Om, puis le poser dans le creux de sa main est toujours d’une telle force visuelle et émotionnelle !
Un chef-d’œuvre vous dis-je !
La force de ce film c’est aussi la mise en scène pour chaque plan travaillé. Plus on avance dans l’intrigue, plus la Planète et ses créatures semblent sombrer dans l’inquiétude, la paranoïa. Puis l’oppression éclate soudain et les paisibles créatures (les tisseurs-troupeaux, les quadripodes et autres mangeurs de Blop-Blop !) font place au terrible Mange-Om dressé par les Draags pour se débarrasser des Oms jugés trop prolifiques dans le renouvellement de leur espèce !
Le ton grinçant de Topor, dont le roman Le Locataire Chimérique a inspiré Roman Polanski pour son film Le Locataire, (en bon moralisateur cynique, Topor était très apprécié des lecteurs de Hara-kiri !) fait merveille dans l’atmosphère pesante d’une planète très sauvage et bien étrange où tout semble se transformer à chacun des pas d’un géant Draag ou d’un minuscule Om. la Planète Sauvage est bien plus qu’un beau plaidoyer pacifiste, toujours actuel de nos jours. C’est un film d’animation d’une richesse visuelle rare, un tableau fantasmagorique qui prend vie grâce aux talents réunis de deux artistes aux univers sombres et oniriques à la fois. C’est un film d’animation intelligent faisant la part belle l’imaginaire décalé et à l’idée que la Vie est somme toute une évidence tragique… et bien absurde parfois.
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La Planète Sauvage a obtenu de nombreux prix dans les festivals du monde entier, dont le Prix Spécial du jury à Cannes en 1973. René Laloux a réalisé, après le succès critique de La Planète Sauvage, deux autres longs métrage d’animation de science-fiction : Les Maîtres du temps en 1981 toujours d’après un roman de Stefan Wul et en collaboration avec le dessinateur Moebius, puis Gandahar en 1987 en collaboration avec le dessinateur Philippe Caza, d’après le roman de Jean-Pierre Andrevon.
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