Malevil
Paru en 1972 le roman d’anticipation Malevil de Robert Merle eut droit à une adaptation au cinéma une dizaine d’années plus tard... "inspiré librement" toutefois comme l’indique l’affiche et le générique, Merle répudiant et acceptant mal les coupes et raccourcis du cinéaste Christian de Chalonge et de son scénariste Pierre Dumayet (le nom de l’auteur n’est pas non plus indiqué). Alors Malevil , le film, oeuvre ratée comme bon nombre de ses pairs mis à l’index par leurs auteurs écrivains ?
Emmanuel Comte (Michel Serrault), châtelain, viticulteur et maire de la commune de Malevil, s’apprête à embouteiller une de ses cuvées lorsqu’il reçoit la visite de plusieurs de ses adjoints dont son ami Colin (Jacques Dutronc) venus régler la question cruciale de l’emplacement du lampadaire jouxtant la pharmacie Bouvreuil. Une fois l’apothicaire calmé (et conforté dans sa petitesse), en gentilhomme du terroir, Comte propose à l’assemblée de déguster un peu de son vin lorsqu’une panne d’électricité survient, une panne s’apparentant plus à un black-out, la radio de Momo (Jacques Villeret) étant elle aussi étrangement réduit au silence... apparaît sous la porte une lumière intense, accompagnée d’un grondement assourdissant, et une chaleur étouffante, interminable. L’apocalypse nucléaire vient de s’abattre. Après un moment d’attente, de crainte, les premiers sortent et découvrent un nouveau monde, indescriptible ("Mais qu’est-ce que vous avez vu ?"), en ruines, crépusculaire, pour seule présence, un épais brouillard de cendres. Les sept survivants devront dès lors s’unir et lutter contre cet environnement, se réadapter à une vie néolithique et se défendre contre les pillards et les autres humains...
Or si polémique il provoqua chez certains, tout du moins un accueil mitigé, le film de Christian de Chalonge a d’avantage été la proie d’un malentendu qui perdure encore de nos jours dans la tête de quelques esprits bornés ou déphasés : vouloir comparer stricto sensu un livre et son adaptation cinématographique... Malevil , le livre, pavé de 600 pages, conte la même histoire que sa version épurée, la survie et les questions qui s’y attachent d’un petit groupe d’amis après une explosion atomique non loin de Cahors cette fois-ci. Si Merle s’attache à aborder des thèmes tels que la place de la religion et de la politique, ou bien celle de la femme sous l’angle d’une communauté restreinte, du fait de sa durée de deux heures, le long-métrage s’il n’écarte pas totalement ces aspects, n’a pas vocation à offrir une version calquée, mais au contraire une complémentarité où l’image et les ambiances, les impressions qui en découlent, ont tout leur sens... auquel cas, pour calmer en partie les rigoristes, un format série aurait sans doute été plus approprié, une transposition qui n’aurait dès lors nullement réduit ou sacrifié certains personnages comme Fulbert ( Jean-Louis Trintignant ) ou Villemain dit le Commandant.
Par une pirouette facile (et néanmoins assez juste), Malevil a les défauts de ses qualités. La paire de Chalonge/Dumayet aura écarté d’un revers de main la question de la politique et du sexe par manque d’ambition ou d’audace (1), la religion étant traitée de manière certes superficielle mais critique (cette dernière étant représenté comme un instrument proche de l’asservissement). Le livre est bien plus nuancé voire antagoniste. Fulbert est le symbole de sa face sombre, pernicieuse, tandis que Comte, plus pragmatique et ambiguë, utilise la religion comme outil de cohésion sociale, celle-ci au final restant indissociable de la nature humaine selon Merle. Le film tend donc de par sa nature à simplifier le contenu, à la différence que celui-ci s’abstient de rendre le personnage principal trop omnipotent et envahissant, reléguant ses compagnons au second plan (comme dans le roman).
Car loin d’être anecdotique, le long-métrage distille un sentiment de perdition et de désolation rare, illustré par les décors de Max Douy (2) et ce silence pesant où viennent se greffer des dialogues simples et marquants ("On pourrait peut-être se remettre à parler", "vous trouvez normal qu’on ne parle jamais des autres"), révélateurs d’une humanité chancelante. Visuellement Malevil est une réussite, de la première scène post-apocalypse aux des paysages "sublimés" du Larzac par la photographie du chef opérateur Jean Penzer. Une oeuvre à la limite du naturalisme, de Chalonge observe avec sa caméra ce microcosme survivant avec difficulté et abnégation en terre hostile. Et si Jacques Dutronc en électricien rural pourra en laisser quelques-uns dubitatifs (3), le reste de la distribution en premier lieu Michel Serrault et l’apprenti dictateur messianique Jean-Louis Trintignant (4) élèvent sans conteste ce film. Une interprétation juste et une production aboutie dissipant ainsi les doutes du syndrome de la plante potagère, risques à craindre (et a priori malheureux ?) en découvrant qu’il s’agit d’une collaboration... franco-allemande.
Au final, en acceptant le postulat de départ qu’une simple cave à vin peut faire office d’abri antiatomique, Malevil est la preuve qu’un film post-apocalyptique situé en plein Larzac peut-être un bon film.
(1) C’est vrai que confronter un communiste primaire avec la loi primitive du "seul le plus fort survit" aurait pu être jubilatoire. Quant à la position procréatrice de la femme soulevée par le livre, si elle a le mérite d’exister dans de telles "conditions extrêmes", pas certain que celle-ci ait vraiment sa place dans un groupe d’individus ne dépassant pas les dix personnes...
(2) Décors qui lui vaudront un César l’année suivante.
(3) Du reste, l’interprète de L’opportuniste ne joue pas trop mal, juste moyennement crédible en électricien. Dutronc fait du Dutronc en somme.
(4) Prémices du dictateur Holm qu’il jouera dans le premier film d’Enki Bilal, Bunker Palace Hotel (1989), de même que Jacques Villeret handicapé mental ici, en attendant un rôle similaire plus riche et touchant dans L’été en pente en douce (1987) de Gérard Krawczyk.
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