Avec Joie et Docilité
En République Eusistocratique de Finlande, la stabilité sociale et la santé publique sont les deux priorités. L’acool, le tabac et même le café, tout ce qui est susceptible de procurer du plaisir sous une forme de dépendance est désormais proscrit. Le seul plaisir autorisé est le sexe, mais pas sous n’importe quelle forme : uniquement dans le cadre du mariage. Pour cela, les femme, sont sélectionnées pour leur docilité, puis éduquées et formées pour devenir des Aloïs et satisfaire leur futur mari. Celles qui, souvent trop intelligentes, s’avèrent rebelles à l’autorité et un peu trop enclines à penser par elle-mêmes, sont appelées des Morlocks, ne se marieront pas et n’auront jamais d’enfants. Ainsi, la sélection naturelle doit permettre de développer peu à peu ce trait de docilité, génération après génération... Mais Vanna a appris très jeune à dissimuler son intelligence et ses pensées et est parvenue à rester elle-même tout en suivant l’éducation d’une éloï. Elle reste malheureusement marquée par la disparition mystérieuse de sa jeune soeur Manna. Et pour tenir le coup, elle a parfois recours à une drogue d’un nouveau genre...
Si vous avez aimé La Servante Ecarlate / The Handmaid’s Tale (que ce soit le roman ou la série), vous aimerez sans doute le roman de Johana Sinisaio, qui nous propose une forme de société pas si éloignée que ça de la République de Gilead imaginée par Margaret Atwood.
Evidemment, un roman se déroulant en Finlande n’a pas tout à fait la même portée qu’un roman censé se dérouler aux États Unis. Il n’y a pas, par ailleurs, de dimension religieuse dans le roman de Johana Sinisaio. On y retrouve plutôt des préoccupations typiquement nordiques, telles qu’une forme d’obsession pour la santé, que l’on découvre rapidement lorsqu’on visite ces pays (l’alcool sous monopole d’état, la passion pour la vie en plein air et le respect de la nature, le souci d’une alimentation saine...).
C’est d’ailleurs ce qui fait, pour partie, le charme de ce roman, qui s’avère très dépaysant et parfois même franchement original.
Les auteurs des pays nordiques (notamment la Suède et l’Islande) sont aujourd’hui célèbres pour leurs intrigues policières. Avec Joie et Docilité comporte lui aussi une intrigue de ce genre, avec l’enquête de Vanna sur la disparition de sa soeur, qui débouchera à la fin du roman sur une découverte particulièrement glauque. Mais il semblerait que la pédophilie soit un thème récurrent dans ce genre de littérature scandinave...
Quoi qu’il en soit, ce fond d’enquête policière ne constitue pas le principal intérêt du roman, qui tire avant un signal d’alarme sur la condition de la femme, dans un pays qu’on pourrait pourtant considérer comme un pays où les femmes sont au pouvoir (à l’image de Manna Marin, devenue à 34 ans Premier Ministre de son pays).
Très bien écrit, très bien construit aussi, le roman passionne le lecteur avant tout par ses personnages très fouillés, torturés pour la plupart (mais comment ne le seraient-ils pas dans une société de ce genre ?). Si Avec Joie et Docilité devient très vite un "page turner", c’est parce qu’on veut savoir ce qu’il va advenir de Vanna, et ce qui est arrivé à sa petite soeur. Navigant habilement entre passé et présent, on comprend très vite que la jeune et brillante Vanna est devenue une junkie accro à une forme de drogue très particulière*, qui lui permet de tenir et de refouler des tendances suicidaires.
Quant au propos féministe, il est plus qu’évident, à l’instar de celui de la Servante Ecarlate. Il rappelle notamment que si la femme est souvent victime de la "société patriarcale" un peu partout dans le monde, ce n’est pas le fruit du hasard : il s’agit bien souvent d’un choix politique de celles ou ceux qui sont au pouvoir et qui instrumentalisent les femmes pour y arriver et/ou s’y maintenir...
* On n’end dira pas plus... mais sachez que cette "drogue" existe bel et bien, comme vous le découvrirez en faisant une simple recherche sur internet et en lisant notamment un article de Wikipédia.