Freaks (la Monstrueuse Parade)

Freaks de Tod Browning est l’un des tous premiers films "d’horreur" du cinéma. Il a tellement choqué les spectateurs de l’époque, en 1932, que de nombreuses scènes furent censurées ou raccourcies.
Il n’y a aucun effet spécial dans Freaks. Toutes les créatures ont existé. Seule la scène finale sera truquée. Le réalisateur Tod Browning, très en avance sur son époque, a d’ailleurs inspiré de nombreux réalisateurs et artistes comme David Lynch (Eraserhead, Elephant Man), Werner Herzog (Les nains aussi ont commencé petits) ou Mark et Michael Polish pour leur film Les Frères Falls, mais aussi d’excellentes séries télé comme Carnivàl et même beaucoup de musiciens.
Freaks est plus qu’un film fantastique, c’est le témoignage d’une époque où la science n’avait pas encore progressé, où des êtres humains naissaient avec de telles difformités qu’ils étaient forcément exclus de leur propre espèce. Beaucoup partaient vivre dans des cirques et devenaient des phénomènes de foire. Certains étaient même très célèbres dans le monde entier, comme Prince Randian que l’on peut voir dans Freaks.
1931, le cirque Tetrallini est en tournée en Europe. Les freaks : siamois, homme-tronc, lilliputiens, femme sans bras et autres êtres « différents » partagent le spectacle avec des humains « normaux » : trapézistes, jongleurs, acrobates, clowns… Le quotidien d’une communauté paisible, où l’équilibre semble possible (vie de famille, fêtes, amitié) est soudain perturbé quand le lilliputien Hans tombe amoureux de la beauté du cirque : la trapéziste Cléopâtre. Celle-ci d’abord amusée par les sentiments du lilliputien, décide, avec la complicité de son amant Hercule, d’empoisonner Hans, afin de lui dérober son héritage. Les noces entre Hans et Cléopâtre se déroulent dans la bonne humeur et les freaks sont heureux de compter la belle trapéziste parmi eux. Celle-ci, un peu éméchée et sûre de sa position de force, se trahit et leur crache son dégoût pendant le banquet. Les freaks plus unis que jamais décident alors de se venger…
Le film choqua le public de l’époque, et marquera longtemps tous ceux qui le visionneront. La vision dérangeante de tous ces êtres fragilisés par leur corps difforme met mal à l’aise, car dans le film de Tod Browing les freaks ne sont pas ceux que l’on imagine : les « gentils » sont incarnés par les êtres aux corps déformés, tandis que les hommes et les femmes aux corps parfaits sont bel et bien les « méchants ».
Le film perturbe qui le regarde car les normes sont ici inversées. Tous les repères des spectateurs formatés par nos sociétés qui imposent des canons de beauté sont ainsi ébranlés. Tandis que ceux qu’on appelle les freaks forment une communauté désireuse de s’intégrer au groupe dominant, les êtres dits « normaux » rejettent toutes idées humanistes à leur encontre. On ne peut alors que s’attacher à ces "pauvres êtres" car, malgré leur apparence horrible, leur désir de vivre et d’aimer est d’autant plus bouleversant. La virtuosité de la mise en scène de Tod Browing accentue l’atmosphère étrange et particulière du film. Comme « ses » freaks dont il a partagé quelques années de sa vie dans les cirques, Tod Browning s’est lui-même toujours senti à part de la société, incompris, ayant du mal à communiquer avec les autres. Ainsi, sa réalisation s’en ressent et le recours aux effets de crépuscule durant presque tout le film, rappelle la période peinture noire du peintre Francisco de Goya. Le lieu, un cirque itinérant où chaque plan en contre-plongées accentue l’impression de domination des humains « normaux » sur les freaks si « démunis », renforce le climat de violence physique ou psychologique.
Rampant sous les roulottes, cachés dans les recoins obscurs du cirque, observant les artistes « normaux » répétant leurs numéros, n’entendant plus les rires ou ne remarquant plus les grimaces des spectateurs tantôt horrifiés tantôt subjugués par leur apparence, les freaks deviennent des personnages, puis des personnalités uniques attachantes et dramatiques. Les malformations s’estompent à mesure que les sentiments de chacun se dévoilent, montrant ainsi toute l’humanité de ces êtres réduits à divertir, tels des singes grimaçants affublés de costumes ridicules, la société de l’époque.
Le film bascule véritablement dans l’horreur quand les freaks décident de punir Cléopâtre et son amant. Par une nuit noire traversée d’éclairs, tandis que de violents coups de tonnerre couvrent les cris du couple « normal » cernés par les "créatures", les freaks avancent lentement, ruisselants sous une pluie torrentielle, certains en rampants à même la boue épaisse et collante vers leurs deux bourreaux. Le châtiment sera à la hauteur de la colère des freaks, et justice sera enfin faite…
On ne sort pas indemne d’un tel film.
C’est un témoignage unique, cauchemardesque d’une société égocentrique, vouant un culte à la force physique et rejetant tout ce qui est différent, étrange ou inesthétique. Un an après la projection de ce film, qui a été un échec commercial, Adolf Hitler prenait le pouvoir en Allemagne, clamant une ère nouvelle basée sur les principes eugénistes.
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