Calvaires
On peut difficilement imaginer début plus classique. C’est à croire qu’Eric Chesneau envisageait en l’écrivant de vendre ensuite ce scénario à Hollywood. Un jeune couple, marqué par une expérience récente traumatisante, débarque dans une bâtisse à mi-chemin entre une ferme et un château, fraîchement héritée d’un tonton décédé. Evidemment, les phénomènes bizarres et les individus étranges ne vont pas tarder à pointer leur nez...
Trève de plaisanteries... Car nous tenons avec Calvaires un vrai, un bon roman fantastique, dans la droite ligne de références anglo-saxonnes telles que James Herbert et dans lequel Eric Chesneau démontre qu’il n’est nul besoin de situer l’action d’un roman de ce genre dans le Maine américain ou dans la campagne anglaise embrumée. L’Auvergne fait ici parfaitement l’affaire, avec ses petits villages de maisons de pierre construites le long des routes, ses habitants discrets et donc nécessairement inquiétants, ses nombreuses collines (et ses rares montagnes) vestiges d’une activité volcanique qui n’est plus aujourd’hui qu’un argument publicitaire pour parc d’attraction et eau gazeuse... et ses tourbières, tout cela contribuant à créer une ambiance qui ne cesse de s’alourdir au fil des 230 pages du roman.
Cerise sur la gâteau , comme on dit chez un célèbre assureur sans doute très présent dans une région aussi rurale, Eric Chesneau a un talent inné, qui se travaille peut être mais qui ne s’invente pas : ses textes sont agréable et intéressants à lire. Quoi qu’il raconte, apparemment... Cela grâce à un humour omniprésent dans les deux premiers tiers du roman. Soyons clair : ce n’est pas du Bigard et on ne se tape pas sur le ventre à la lecture de Calvaires ; ce n’est pas non plus du Desproges ; s’il fallait absolument trouver une comparaison, il faudrait davantage chercher du côté d’Audiard.
Du coup, on se met au bout de quelques pages à se mettre en chasse des expressions les plus truculentes, des traits d’esprit les plus acérés. Et on en trouve beaucoup, avec un grand plaisir ! Et c’est comme ça qu’on dévore littéralement ce roman, en oubliant presque au passage qu’un drame est en train de se jouer...
Car il s’en passe des choses, en Haute-Loire ! Et il s’en est passé, bien avant l’arrivé de ce sympathique couple. De véritables massacres... beaucoup de suicides, qui surviennent par vagues depuis ... des siècles, peut être, sans oublier de nombreuses légendes terrifiantes remontant aux Templiers et faisant état d’une créature maléfique hantant les marais. On y rencontre aussi une guérisseuse bien vivante. Mais les rumeurs concernant certains morts semblent bien inquiétantes...
Mais tout cela passe presque au second plan. La faute à quoi ? A l’humour d’Eric Chesneau ! Voilà, c’est dit : s’il fallait dire du mal de ce roman, cela se limiterait à cela, à une forme de légèreté qui nuit parfois à une intrigue qui, sans cela, serait sans doute encore plus prenante. De ce point de vue, Calvaires est un roman plutôt atypique. On ne trouve pas beaucoup d’humour chez Stephen King, Graham Masterton ou Dean Koontz, pour ne citer que ces trois poids lourds du genre...
Les cinquante dernières pages du roman, toutefois, recentrent le récit sur la lutte du couple pour découvrir la vérité et venir à bout de la malédiction qui pèse sur la région depuis des siècles. Et là aussi, même si l’humour se fait plus discret, la roman reste tout aussi passionnantn avec différentes pièces qui finissent par s’assembler de manière assez originale, jusqu’à une fin comme on les aime (hélas trop rares), qui n’a rien à voir avec une happy end que le début du roman pouvait pourtant laisser présager !
On ne saurait donc trop recommander la lecture de Calvaires, qui démontre qu’on peut raconter autrement des histoires fantastiques et donner ainsi une nouvelle jeunesse à des thèmes déjà traités de nombreuses fois, mais arrangés de manière plutôt habile pour former un ensemble cohérent et crédible. Et on ne peut qu’espérer qu’Eric Chesneau, après un premier roman dans la catégorie "polar" poursuivra dans la voie de son second... et donc de préférence dans le fantastique !