Mutants
L’équilibre entre un mauvais film sympathique de faible niveau et un sinistre navet semble être ténu pour l’habitué des multiplexes errant tel un zombie dans les centres commerciaux en mal de blockbusters hypercaloriques. Combien de crapauds malodorants et autres princes miteux pour un charmant et noble souverain à l’apparence altière et aux poils brillants ? Voici donc l’art délicat auquel s’est tenu la fine équipe composée de Jodie Jones, Evan Scott et Sam Sullivan (troisième du nom faut-il le préciser) pour écrire ce petit nanar horrifique sans grande prétention (enfin j’espère pour eux et leurs héritiers...) intitulé "Mutants" sous la direction du non moins (les mots me manquent) Amir Valinia.
Parmi les nombreuses recettes susceptibles de transformer une vulgaire plante potagère en un mets nanar de premier (ou second) choix, deux exemples caractérisent à merveille le film du jour : une idée de départ improbable frisant tellement le ridicule qu’on en vient à émettre de sérieux doutes quant à l’âge mental des trois protagonistes responsables de ce pitch capilotracté et la touche glamour tout du moins prestigieuse dans le cas présent, soit un invité de marque venu rehausser votre casting famélique, en d’autre terme, un acteur avec suffisamment de notoriété venu cachetonner sans vergogne n’hésitant pas une minute à saigner à blanc votre budget déjà anémique.
Une menace bien plus grande que n’importe quel virus grippal plane sur les Etats-Unis d’Amérique et sur le monde. Le commandant Marcus Santiago, spécialement envoyé du Ministère de la Défense, affecté à l’opération Maniac, classé au sixième niveau du programme officiel des services de renseignements, soit un des agents envoyés partout dans le monde pour recueillir des données sur les dangers qui guettent l’Amérique : trafiquants d’armes, terroristes, etc., a pour mission d’observer les activités douteuses reliant le docteur Serguei Petrov, l’agence de sécurité internationale Shadow Rock, sous le commandement du colonel Briggs, et l’usine de sucre Juste Rite. Quel peut-être le lien entre un biochimiste ancien employé de la CIA, un groupe de commandos d’élite et l’industrie de la canne à sucre : la drogue, les armes, une cellule terroriste ? “Si seulement ça avait été ça... non, c’était pire, bien pire que ça, [...] j’assiste à l’extinction de l’humanité...” nous confit non sans une pointe d’amertume et d’impuissance le commandant Santiago.
Avec un tel préambule, la peur tiraille le spectateur lambda, on nous cache tout, on nous dit rien. Et si Braylon, le propriétaire de Juste Rite, a embauché le docteur Petrov reconnu par ses ex-employeurs gouvernementaux pour son travail sur des cobayes humains, malades mentaux, prisonniers ou soldats, en testant les bienfaits du LSD (1) ou de la mescaline, ce n’est en aucun cas pour qu’on lui lise dans le texte Les âmes mortes de Gogol. Le sinistre Braylon a d’autres desseins que de s’ouvrir à l’âme et à la poésie russe, ce patron d’une usine de sucre couvre en effet le funeste désir de créer avec l’aide du bon docteur Petrov un sucre aussi addictif que l’héroïne ou la nicotine afin bien sûr d’en rendre les consommateurs ultra dépendants (2). Certes et alors, on a bien mis du mercure dans des cigarettes et personne n’en est mort, non ? Sauf qu’en mettant de côté le code éthique de Petrov qui teste ses nouvelles molécules sur des malheureux kidnappés au passage, vagabonds, junkies et autres sans papiers (3), les hommes de main de Braylon ont enlevé par inadvertance à la fois l’agent de liaison du commandant Santiago mais aussi et surtout Ryan Theriot... qui n’est autre que le fils du chef de la sécurité de Juste Rite et le frère de la secrétaire de Braylon... quel sacré concours de circonstance ! Quel manque de bol ! Cependant, les scénaristes ont du cœur et quelques jours après la disparition de Ryan, Erin reçoit à son travail de mystérieux e-mails de la part d’une certaine Cendrillon lui indiquant l’existence de comptes secrets appartenant à l’entreprise puis une photo récente de son petit frère... l’enquête familiale peut enfin commencer avec un paternel ancien membre des Navy Seals (les meilleurs pour rappel).
En soulignant la touche glamour précédemment, je me dois de faire amende honorable une fois n’est pas coutume. Le fameux invité prestigieux étant Michael Ironside, pour le glamour, on repassera. Ironside, soit l’une des plus "belles" gueules que comptent le cinéma de genre des trente dernières années, découvert dans Scanners de David Cronenberg dans le rôle du terrifiant Darryl Revok puis dans la série culte des 80’s V . Carrière marquée par des rôles dans la fiction fantastique qui ne l’empêcha pas de jouer des personnages récurrents dans des séries plus grand public telle la série E.R. (Urgences) ou Desperate Housewives bien des années plus tard. N’empêche, l’acteur surnommé Guest (4) trimballe bon nombre de casseroles, qui ont néanmoins le mérite de ne pas trop lui avoir porté préjudice, sa filmographie conséquente prouvant l’inverse. Au contraire, on affirmera sans peine que même dans la plus minable production, Ironside, du fait de son charisme ou cabotinage forcené, arrive toujours à sortir son épingle du jeu (5)... ou pas. A sa décharge, et quand bien même celui tenant le rôle du colonel Gauge rend une copie extrêmement fatiguée, ce qu’on retiendra en premier lieu est la faible place laissé au personnage joué par Michael Ironside... delà à penser qu’il a tourné ses scènes en tout juste deux nuits...
A ce titre, Mutants dans la grande tradition du nanar fauché ne déroge pas à la règle... il ne s’y passe pas grand chose ou plutôt si, tous les poncifs du genre y sont représentés, le cahier des charges se devant avant tout d’être aux normes. Mais le suspense n’aura que trop duré, et comme le laisse magistralement supposer les deux photos précédentes, la menace tant redoutée quant aux risques sanitaires encourus par le sucre génétiquement modifié du bon docteur Serguei est une réalité et point une allégation calomnieuse d’un concurrent direct. Et les mots prophétiques du commandant Santiago résonnent désormais en moi : “j’assiste à l’extinction de l’humanité...” L’espèce humaine décimée par une mutation les transformant en ersatz de zombies épileptiques à les faire passer pour des végétaliens cocaïnomanes ?
En citant précédemment les codes que tout bon mauvais film sympathique se doit de suivre, Mutants signe un quasi sans faute dans la catégorie nanar apathique. Et la bande-annonce ci-jointe est à ce propos, elle-aussi, un modèle du genre, ou comment créer une bande-annonce artificielle à partir des 20 dernières minutes du film, les plus rythmées oserait-on ajouter, en créant un suspense éventé délicieusement cache-misère. La première et longue partie du métrage fait à base de flashbacks bancals et d’action poussive sert de longue introduction aux agissements nanars du méchant et avide Braylon et à son Josef Mengele russe d’opérette. Et les plus sensibles à la psychologie des personnages seront ravis de constater la place primordiale que peut avoir le couple Erin et Griff Theriot dans le récit. Il est toujours charitable de la part des scénaristes de ne point esquiver la rédemption d’un homme brisé sur le chemin de la vérité en voulant sauver son propre fils, car finalement cette quête n’est-elle pas celle de sa propre identité perdue ? Alors certes, cette recherche se fait attendre, le colonel Gauge passe presque 50 minutes, à travers une faille spatio-temporelle (6), dans sa voiture à bavasser avec un commandant neurasthénique, tout juste compétent à asséner sa bile verbeuse envers les drogués et la canne à sucre… mais comme tous les longs préliminaires, l’attente fut longue, la récompense en sera dès lors d’autant plus explosive...
En conclusion, Mutants , un nanar que les betteraviers et Bonaparte ne renieraient pas.
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(1) On rigole mais les tests effectués par la CIA sur l’utilité du LSD en matière de renseignements sont un fait avéré cf. LSD et CIA : quand l’Amérique était sous acide, livre de Martin Lee et Bruce Shain... c’était l’instant sérieux... pouf pouf
(2) Hum... oui, à part être diabétique et ancien fumeur supportant très mal son sevrage, on en vient à s’interroger d’où vient l’inspiration d’un tel pitch...
(3) Les plus radicaux diront que Serguei lutte à sa manière contre l’insécurité, la délinquance et le chômage.
(4) Surnom donné par ses fans du fait de sa grande participation à de nombreuses séries US en tant qu’invité.
(5) Quelques mentions très spéciales pour avoir interprété le général Katana dans le nanar MacLeodien Highlander II ou dans la série Walker Texas Ranger : rien que l’idée de voir Chuck Norris combattre Michael Ironside fait exploser le potentiel nanar de la dite série.
(6) Étonnamment, tandis que le temps s’écoule paisiblement durant les 50 premières minutes du film, où l’on suit les pérégrinations de la famille Theriot étalées sur plusieurs jours, Michael Ironside semble vivre dans un espace-temps à part, où ce dernier reste coincé dans sa voiture roulant la nuit vers l’usine de Juste Rite au gré des sentences dépressives du dépité Steven Bauer…
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